
Fureter dans les rues des villes et villages du Mexique permet d’y découvrir notamment un artisanat qui rappelle la tradition maya et la présence espagnole. Cet écran folklorique esquive la base industrielle qui alimente l’économie mexicaine.
Main-d’œuvre à bon marché, légères charges sociales et fiscales, matières premières disponibles à proximité ont attiré, avec les années, de nombreux ateliers de fabrication de ce qu’il est maintenant convenu de qualifier de secteur mou dans les pays développés : vêtements, chaussures, meubles. Ensuite, les industries de l’automobile et de l’imprimerie s’y sont implantées et d’autres secteurs, avionnerie ou pharmacologie, soupèsent les avantages et inconvénients d’un établissement au sud du Rio Grande.
Mais voilà, il se trouve toujours meilleur marché que soi. Le Mexique, les Mexicains, les industriels autochtones, les syndicats (quand il y en a), lancent des cris de détresse qui ne sont pas sans rappeler ce qu’ont vécu les Québécois et Canadiens dans les décennies 1970-80-90. À l’époque, dès que le niveau de profit périclitait, la solution était simple : délocalisation vers le Mexique où s’établir coûtait peu, le gouvernement hôte déroulant le tapis rouge pour recevoir ces nouveaux investisseurs en leur offrant des avantages incomparables.
C’est ainsi que les maquiladoras ont vu le jour. Ces usines opéraient en zone franche (sans charge fiscale et tarifs douaniers) et les syndicats y étaient interdits de séjour. Que d’avantages pour des entrepreneurs dont le seul souci se situe, au niveau des états financiers, à la case profits. Même une usine profitable en sol canadien cherchait refuge au Mexique où la marge bénéficiaire serait encore plus avantageuse; les rendements annuels à 15% s’éclipsaient devant des possibilités de 30-40, voire 50%. L’argent ne fait pas plus dans le politique que dans le social, à moins que cela ne rapporte.
Puis sont intervenus les accords de libre-échange, d’abord entre le Canada et les États-Unis, puis avec ceux-ci et le Mexique. Ensuite, les accords sur le commerce international. Plus question de protectionnisme national. Un pays n’est plus un pays mais un marché. Un pays n’est plus un pays mais un lieu de production. Et le pays de production, quelque soit le traitement qu’il réserve à sa main-d’œuvre, doit avoir accès aux pays « marchés » sans entraves.
Le péril jaune
« Péril jaune » et « Quand la Chine s’éveillera » sont des titres d’essais parus dans les années 1960 qui provoquaient, plus souvent qu’autrement, le sourire chez les occidentaux qui suivaient de loin les péripéties de Mao pour qui un bol de riz par jour par habitant était l’objectif économique ultime. Mao, sa révolution culturelle, la bande des quatre (puristes et intégristes du maoïsme sous la houlette de la veuve de Mao) ont laissé place à une succession qui voit l’évolution communiste à la chinoise d’un autre œil.
La chine d’aujourd’hui se veut la terre d’accueil de toutes ces usines dont les coûts d’opération sont exorbitants. Or, au Mexique, un salaire mensuel de 300 $ est largement au-dessus du salaire minimum. C’en est trop! Vite, « la Chine nous attend à bras ouverts» clament les entrepreneurs qui, hier, trouvaient, si attrayants les charmes économiques mexicains.
Ils étaient 40 000 Mexicaines et Mexicains à scander « Mexico si! China no! » dans les rues de Leon, ville industrielle de l’état de Guanajusto, situé au nord-ouest de Mexico, pour réclamer le maintien de tarifs douaniers visant les importations étrangères, pointant de la sorte l’importation massive de produits fabriqués en Chine. Difficile retournement de situation. De fait, les droits de douanes à l’importation de chaussures ont été abolis avec la fin de l’année 2007. Ceux-ci atteignaient jusqu’à 300% du prix de gros de ces marchandises. En 10 ans, de 1995 à 2005, le déficit commercial du Mexique à l’endroit de la Chine est passé de 500 millions $ à 23 milliards $.
La réplique du gouvernement mexicain à ce déplorable état de fait : le marché national doit s’ouvrir sous peine de sanctions de la part de l’Organisation mondiale du commerce. 80 000 salariés et 2 800 usines évoluent dans le secteur de la chaussure au Mexique.
Les industriels mexicains se disent coincés dans l’étau des bas salaires payés en Chine, d’une part, et de la technologie à forte productivité qui a cours aux États-Unis, d’autre part. Conséquence anticipée : une émigration encore accrue vers les États-Unis. À terme, une économie devenue exsangue faute de ressources humaines qualifiées.
Ne restera plus alors que l’exploitation des ressources naturelles, pétrole et mines, où le népotisme courtise la corruption. Pour des salaires décents et des mesures de santé et de sécurité au travail, la main-d’œuvre devra patienter, ces mesures étant contre-productives face à la concurrence étrangère.
À qui profitent ces accords mondiaux qui font fi des populations nationales? Au progrès? Vraiment?
… Et me voici seul,
À la barre du jour,
Avec, entre les doigts,
Encore trempés des ombres remuées,
Gercés de nuit,
Seulement l’eau du temps parti.
Gilles Vigneault (Comme fait le pêcheur…)