lundi 28 janvier 2008

Mexique La délocalisation frappe


Fureter dans les rues des villes et villages du Mexique permet d’y découvrir notamment un artisanat qui rappelle la tradition maya et la présence espagnole. Cet écran folklorique esquive la base industrielle qui alimente l’économie mexicaine.
Main-d’œuvre à bon marché, légères charges sociales et fiscales, matières premières disponibles à proximité ont attiré, avec les années, de nombreux ateliers de fabrication de ce qu’il est maintenant convenu de qualifier de secteur mou dans les pays développés : vêtements, chaussures, meubles. Ensuite, les industries de l’automobile et de l’imprimerie s’y sont implantées et d’autres secteurs, avionnerie ou pharmacologie, soupèsent les avantages et inconvénients d’un établissement au sud du Rio Grande.

Mais voilà, il se trouve toujours meilleur marché que soi. Le Mexique, les Mexicains, les industriels autochtones, les syndicats (quand il y en a), lancent des cris de détresse qui ne sont pas sans rappeler ce qu’ont vécu les Québécois et Canadiens dans les décennies 1970-80-90. À l’époque, dès que le niveau de profit périclitait, la solution était simple : délocalisation vers le Mexique où s’établir coûtait peu, le gouvernement hôte déroulant le tapis rouge pour recevoir ces nouveaux investisseurs en leur offrant des avantages incomparables.

C’est ainsi que les maquiladoras ont vu le jour. Ces usines opéraient en zone franche (sans charge fiscale et tarifs douaniers) et les syndicats y étaient interdits de séjour. Que d’avantages pour des entrepreneurs dont le seul souci se situe, au niveau des états financiers, à la case profits. Même une usine profitable en sol canadien cherchait refuge au Mexique où la marge bénéficiaire serait encore plus avantageuse; les rendements annuels à 15% s’éclipsaient devant des possibilités de 30-40, voire 50%. L’argent ne fait pas plus dans le politique que dans le social, à moins que cela ne rapporte.

Puis sont intervenus les accords de libre-échange, d’abord entre le Canada et les États-Unis, puis avec ceux-ci et le Mexique. Ensuite, les accords sur le commerce international. Plus question de protectionnisme national. Un pays n’est plus un pays mais un marché. Un pays n’est plus un pays mais un lieu de production. Et le pays de production, quelque soit le traitement qu’il réserve à sa main-d’œuvre, doit avoir accès aux pays « marchés » sans entraves.

Le péril jaune

« Péril jaune » et « Quand la Chine s’éveillera » sont des titres d’essais parus dans les années 1960 qui provoquaient, plus souvent qu’autrement, le sourire chez les occidentaux qui suivaient de loin les péripéties de Mao pour qui un bol de riz par jour par habitant était l’objectif économique ultime. Mao, sa révolution culturelle, la bande des quatre (puristes et intégristes du maoïsme sous la houlette de la veuve de Mao) ont laissé place à une succession qui voit l’évolution communiste à la chinoise d’un autre œil.

La chine d’aujourd’hui se veut la terre d’accueil de toutes ces usines dont les coûts d’opération sont exorbitants. Or, au Mexique, un salaire mensuel de 300 $ est largement au-dessus du salaire minimum. C’en est trop! Vite, « la Chine nous attend à bras ouverts» clament les entrepreneurs qui, hier, trouvaient, si attrayants les charmes économiques mexicains.

Ils étaient 40 000 Mexicaines et Mexicains à scander « Mexico si! China no! » dans les rues de Leon, ville industrielle de l’état de Guanajusto, situé au nord-ouest de Mexico, pour réclamer le maintien de tarifs douaniers visant les importations étrangères, pointant de la sorte l’importation massive de produits fabriqués en Chine. Difficile retournement de situation. De fait, les droits de douanes à l’importation de chaussures ont été abolis avec la fin de l’année 2007. Ceux-ci atteignaient jusqu’à 300% du prix de gros de ces marchandises. En 10 ans, de 1995 à 2005, le déficit commercial du Mexique à l’endroit de la Chine est passé de 500 millions $ à 23 milliards $.

La réplique du gouvernement mexicain à ce déplorable état de fait : le marché national doit s’ouvrir sous peine de sanctions de la part de l’Organisation mondiale du commerce. 80 000 salariés et 2 800 usines évoluent dans le secteur de la chaussure au Mexique.

Les industriels mexicains se disent coincés dans l’étau des bas salaires payés en Chine, d’une part, et de la technologie à forte productivité qui a cours aux États-Unis, d’autre part. Conséquence anticipée : une émigration encore accrue vers les États-Unis. À terme, une économie devenue exsangue faute de ressources humaines qualifiées.

Ne restera plus alors que l’exploitation des ressources naturelles, pétrole et mines, où le népotisme courtise la corruption. Pour des salaires décents et des mesures de santé et de sécurité au travail, la main-d’œuvre devra patienter, ces mesures étant contre-productives face à la concurrence étrangère.

À qui profitent ces accords mondiaux qui font fi des populations nationales? Au progrès? Vraiment?

… Et me voici seul,
À la barre du jour,
Avec, entre les doigts,
Encore trempés des ombres remuées,
Gercés de nuit,
Seulement l’eau du temps parti.


Gilles Vigneault (Comme fait le pêcheur…)

lundi 21 janvier 2008

Québec Payer les contrevenants et haro sur les baby boomers

Géniale cette idée de François Rebello, vice-président du Parti québécois : accorder des avantages fiscaux aux commerces qui respectent les dispositions de la loi 101 concernant l’affichage et le service à la clientèle en français. Suffisait d’y penser.

D’où origine cet à-plat-ventrisme qui caractérisent les Québécois incapables d’affirmer leur personnalité fondée essentiellement sur cette langue qui les distingue du reste des citoyens de l’Amérique du Nord. Sans le Québec et son visage francophone, les autres communautés de souche française du continent : Acadiens, Franco-ontariens, Cajuns, Franco-américains, n’auraient aucun référent pour défendre et promouvoir leur langue d’origine.

La suggestion lancée par Rebello, en plus d’être farfelue est franchement inapplicable. Depuis quand récompense-t-on celles et ceux qui observent les lois en vigueur?

À ce compte-là, il nous faudrait prévoir des remboursements d’impôts aux automobilistes qui respectent les limites de vitesse. Au contraire, avec le système de points de démérite, l’état pénalise les conducteurs fautifs. Que dire des contribuables qui paient leurs impôts? Pas de rabattement fiscal mais des intérêts qui s’ajoutent aux montants en souffrance pour les retardataires. Idem pour les commerçants qui ne remettent pas au fisc les taxes perçues auprès des consommateurs. Les travailleuses et travailleurs à pourboire doivent déclarer leurs gains sans quoi le ministère du Revenu intervient et frappe. Que faire des restaurateurs qui permettraient à leurs clients de fumer?

François Rebello souhaite créer du droit nouveau : vous fonctionnez légalement et vous êtes récompensés; vous fonctionnez illégalement et vous pouvez continuer de le faire. C’est le monde à l’envers sans compter le peu de fierté affiché face à ce que nous sommes. À quand le jour où il faudra s’excuser d’exister?

La tare des baby boomers

C’est ce même François Rebello qui, à ses débuts sur la scène publique, fustigeait sur toutes les tribunes ces baby boomers qui accaparaient tous les emplois, avaient spolié toute la richesse collective et l’avait même mis au monde.

Le sondage publié par le Journal de Montréal démontre que ces griefs à l’endroit de la génération des 55-75 ans ont la vie dure et frisent les préjugés. Il est aisé de dire que si aujourd’hui on éprouve de la difficulté à tirer son épingle du jeu c’est la faute de celles et ceux qui nous ont précédés. C’est plus facile en tout cas que de se retrousser les manches et d’en faire autant : créer un système de soins de santé universellement accessible, un réseau d’éducation largement gratuit, un régime fiscal plus équitable pour les moins favorisés…



Cependant le débat est loin d’être nouveau. À la fin des années 1940, et oui à cette époque du 20ème siècle où s’enclenchait le phénomène appelé baby boom en raison des nombreux enfants nés pendant cette période d’après la deuxième guerre mondiale, Maurice Druon, auteur entre autres du roman Les grandes familles, écrivait : « Les jeunes gens reportaient sur leurs aînés la responsabilité de tous leurs maux visibles et prévisibles, de leurs difficultés du jour, même des vagues calamités du lendemain. »

La vraie nouveauté réside dans la présence des maisons de sondage capables de remettre au goût du jour les imprécations formulées par toutes les nouvelles générations à l’endroit de leurs parents. On appelle ça la crise d’adolescence. Chez certains, ça dure jusque passée la trentaine.

Alors il ne me resta plus
Pour souffler la lumière
Qu’à rendre le premier soupir
Et tout rentra dans les ténèbres.


Pierre Trottier (Le temps corrigé)

mardi 15 janvier 2008

Canada Des citoyens plus égaux que les autres


Quand Stephen Harper promet, il agit. Cette fois, il aurait peut-être dû réfléchir avant. Son gouvernement jubile devant l’entrée en vigueur de sa Loi sur le lobbying. Et pourtant!
Cette loi vient consacrer le principe que les citoyens qui ont les moyens de se payer des démarcheurs ont plus d’influence que les autres.
Un exemple? Les pharmaceutiques. Cette industrie est partagée en deux : les fabricants de produits génériques et ceux qui mettent au point des médicaments « d’origine contrôlée ». Les premiers, arguant l’accessibilité de médicaments efficaces à prix réduits, souhaitent une réduction du temps de protection des brevets, ce qui leur permet de produire plus rapidement des copies et, donc, de faire de l’argent; les seconds soutiennent que la protection de leurs brevets favorise la recherche et le développement de nouveaux médicaments plus efficaces.
Qu’ont fait les protagonistes lorsque ce débat a été lancé il y a quelques années. Les deux groupes ont recouru à des firmes spécialisées en relations gouvernementales, euphémisme pour désigner des lobbyistes; des personnes qui jouissent d’un réseau de contacts au sein de l’appareil gouvernemental et, si possible, d’un accès direct aux ministres en poste, sinon au premier ministre. Leur niveau de rémunération est proportionnel à l’ampleur de leur réseau.
Les « génériques » se sont collés sur les députés et ministres québécois faisant valoir le poids de leur industrie sur l’économie de la province. Les « originaux », prenant Toronto comme levier, ont soulevé des menaces de réduction d’activité, voire de délocalisation, en s’adressant aux députés et ministres ontariens par le biais de lobbyistes.
Des milliards $
Les pharmaceutiques valent des milliards de dollars et leur capacité d’influence est déjà immense. Une fois leurs intérêts confiés à des professionnels du démarchage, leur poids s’accroît encore davantage, leurs lobbyistes s’insinuant dans tous les recoins de la machine gouvernementale pour plaider le bien-fondé de leurs positions.
Pendant ce temps, les associations de défense des consommateurs planchent sur les mémoires qu’elles vont soumettre au comité parlementaire qui se penche sur ce sujet et qui devra recommander au gouvernement quelle est la politique à suivre dans le dossier.
Étrangement, les compagnies pharmaceutiques se montrent plutôt discrètes lors de ce forum et ne manifestent aucune agressivité notable devant les tierces parties opposées à leur point de vue. Ceci pour la simple raison, qu’elles pressentent déjà que les dés sont jetés, la partie s’étant jouée en coulisses bien avant la tenue des audiences du comité en question.
Seconde zone
La présence de lobbyistes dans le giron du milieu gouvernemental fait la démonstration qu’il existe bien des citoyens de premier ordre dans nos démocraties et d’autres de sonde zone.
Déjà les présidents des grandes entreprises jouissent de contacts directs aux niveaux les plus élevés de l’administration publique, souvent au bureau du premier ministre lui-même. Lors des missions économiques à l’étranger, qui empruntent le même avion que premier ministre et ministres? Et en plus, ils se dotent de spécialistes en trafic influence!
Quelle est la profession de Karlheinz Schreiber? Lobbyiste. Un excellent lobbyiste. À preuve, il a réussi à s’introduire auprès du premier ministre jusqu’au point où celui-ci, tout se suite après son départ, consent à recevoir de sa part de l’argent comptant en catimini dans des chambres d’hôtels. Sommes ensuite camouflées dans des coffrets bancaires de sûreté.
Les citoyens ordinaires, même regroupés dans des associations de défense de leurs intérêts ou dans des syndicats, n’ont que peu de poids à comparer à celui des grandes entreprises.
Est-ce un hasard si le Conseil du trésor fédéral a rendu public, le 4 janvier, son règlement décrétant l’entrée en vigueur de sa loi sur le lobbying? Il serait souhaitable que ce soit la gêne de ne pas s’être posée la vraie question : le lobbying est-il un rouage capital du fonctionnement gouvernemental?

J’ai cherché la réponse essentielle
Au sillage émouvant des nudités secrètes
Plus muettes que leurs images
Enfantées dans l’antre de poussière

Jean-Guy Pilon (Promesse indéfinie…)