vendredi 25 avril 2008

USA L’éthique des analystes


Devant la montée des critiques face au nombre de soldats expédiés en Irak qui y laissent leur vie ou reviennent au pays handicapés à vie et des dénonciations quant à la carence des équipements en leur possession et à l’offensive de groupes comme Amnistie internationale qui ont qualifié la prison de Guantanamo de goulag du temps présent, le gouvernement américain est passé à l’assaut de la presse en envoyant au front des analystes militaires au service des grands réseaux de télévision.

De fait, les réseaux ABC, CBS, NBC, FOX et CNN recourent à d’ex-hauts gradés militaires pour analyser les événements qui surviennent sur les fronts de l’Irak et de l’Afghanistan, les troupes qui y sont déployées, la stratégie à l’origine des tactiques utilisées, l’équipement nécessaire pour parvenir à leurs fins, les méthodes de collecte de renseignements, notamment les interrogatoires musclées qui contreviennent aux accords de Genève.

Ce sont ces analystes que le Pentagone a pris en charge pour les escorter sur les terrains d’affrontements et vers Guantanamo en souhaitant qu’à leur retour leurs commentaires soient moins vitrioliques à l’endroit des politiques de la Maison blanche. Il est même arrivé que ces analystes, payés de 500 $ à 1 000 $ de la prestation, contredisent carrément les reportages des journalistes affectés à la couverture de ces guerres ou la conclusion d’enquêtes menées sur le théâtre des opérations.

Qui plus est, nombre de ces analystes, tout à fait crédibles étant donné leurs états de services, auraient des liens très étroits avec des entreprises à contrat avec le Pentagone pour la fourniture d’équipement militaire, soit en siégeant sur leur conseil d’administration, soit en agissant à titre de conseils-experts auprès de ces compagnies.

Tous ces faits sont révélés dans une série de documents (plus de 8 000 pages) obtenus par le New York Times en vertu de la loi américaine d’accès à l’information.

Éthique?

Il va de soi qu’un gouvernement en bute à d’acerbes critiques utilise des « spin doctors », ces spécialistes en relations de presse appelés à amadouer les médias, afin de pondérer les propos des journalistes et autres commentateurs à son endroit. Ce qui est plus inquiétant, cependant, c’est l’absence de critères dans ces médias influents avant de procéder à l’embauche de ces anciens militaires.

Certains dirigeants de ces réseaux de télévision, sous le couvert de l’anonymat, reconnaissent ignorer les liens possibles de ces analystes avec l’administration Bush ou les entreprises transigeant avec le Pentagone. Ils avouent également ne peut appliquer à leur endroit les mêmes normes que celles auxquelles doivent se soumettre le personnel de leur salle de nouvelles.

Voilà qui démontre que la moindre faille perçue dans l’armure apparente des médias sera tôt ou tard exploitée par leurs cibles et que baisser la garde en croyant que des personnes comme d’anciens militaires, jusque-là considérés comme intègres, pouvaient être manipulés par le pouvoir en place peut mener les médias qui influent le plus sur l’opinion publique à devenir de simples courroies de transmission d’information biaisée.

Quand le quatrième pouvoir devient le porte-voix de l’un des trois autres, il cesse d’exister et sa crédibilité ainsi perdue sera pour longtemps remise en question. On s’interroge ensuite pourquoi le public est sceptique face aux médias.

Je voulais simplement t’apporter le monde
Comme on transporte une montagne
Dans la haute ferveur du mensonge nécessaire
Tissé sous nos pas en filet protecteur


Jean-Guy Pilon (On ne choisit pas ses armes)

samedi 19 avril 2008

Du côté d'Ottawa et de Québec Crocs-en-jambe


Ces dernières semaines voient défiler des événements qui sont autant d’embarras posés sur la route de leurs protagonistes.

Monsieur net

En applaudissant aux performances livrées devant le juge John Gomery, Stephen Harper se pavanait comme le monsieur net canadien dont le parti allait laver plus blanc que le javellisant. Et voilà que le directeur général des élections du Canada réclame l’aide de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) pour effectuer une descente aux enfers… euh! Non; aux quartiers généraux du Parti conservateur du Canada, dans le contenant même d’eau javellisée quoi. Est-ce la preuve que rire de ceux qui se sont éclaboussés risque de laisser des traces sur ses propres habits?

Comme un clou chasse l’autre, pour faire contrepoids à l’opération en cours au Parti conservateur du Canada, la GRC procède à l’arrestation et à la comparution de l’ex-directeur général du Parti libéral du Canada, section Québec. Benoit Corbeil est celui que Jean Brault disait arroser d’argent et qui, ensuite, se transformait en gicleur financier en faveur des candidats du parti. Cette arrestation détournait, pour un temps en tout cas, l’attention des médias qui se tournaient vers Montréal après avoir passé la semaine à Ottawa.

Déclarations, démissions

Le ministre des Affaires étrangères de la Beauce, non du Canada, Maxime Bernier, après une prestation joslouisesque ( de là la prononciation de candyhar? ) en Afghanistan, a cette fois servi une leçon de haute voltige au corps diplomatique canadien en réclamant publiquement du président Karzhai la tête du gouverneur de la province de Kandahar.

Le lendemain, sans doute par pur hasard, le commandant en chef des forces armées canadiennes, Rick Hillier, annonce sa démission prochaine. Mission accomplie insiste-t-il. Soldat de carrière, ce terre-neuvien est bien connu lui aussi pour son sens de la diplomatie et son inclinaison politique. Ainsi n’a-t-il pas hésité à dénoncer la corruption qui a cours dans la province de Kandahar, après avoir affirmé sans ambages que la mission en Afghanistan allait être très longue, sans compter qu’il avait réussi auparavant à faire muter le ministre de la Défense O’Connor, son ancien patron dans l’armée. Il n’appréciait probablement pas qu’un ancien chef d’état-major regarde par-dessus son épaule et juge ses décisions.

De méchantes langues seraient tentées de sous-entendre que la sortie de Maxime Bernier aurait pu être inspirée de propos tenus confidentiellement par le général Hillier qui aurait pu lui souffler à l’oreille que corruption et gouverneur de Kandahar allaient de paire. Est-il possible que Maxime Bernier ait dit tout haut ce que Rick Hillier avait dit tout bas?

Une chose est cependant certaine. Le Canada, en Afghanistan transige avec des personnes corrompues. Bel exemple à donner aux Talibans et à leurs fidèles!

Perdre la carte

Le directeur général des élections du Québec a livré ses conclusions quant au poids démographique des régions du Québec et propose, pour rééquilibrer la représentation électorale, d’ajouter trois circonscriptions dans la région métropolitaine de Montréal, constatant leur population à la hausse amputant la carte électorale des circonscriptions de la Beauce, du Bas Saint-Laurent et de la Gaspésie.

Les députés des régions ainsi rayées montent au front et réclament le maintien du statu quo. La région de Montréal se fait discrète ne souhaitant pas provoquer d’affrontement.

En assumant ses responsabilités comme il se doit, le directeur général des élections, Marcel Blanchette, a mis les élus de l’Assemblée nationale devant leurs responsabilités. Mais ceux-ci semblent préférer s’escrimer sur le poids démographique versus le poids légitime plutôt que de se creuser les méninges et trouver une porte de sortie autre que : touchez pas à ma région ou donnez-moi ce qui me revient. Personne n’aborde la question de la représentation proportionnelle. Hélas!

Il est certain que cette solution comporte son lot de risques : Victor Lévis-Beaulieu (VLB) pourrait-il devenir député?

Le scandale des sandales

Pendant que les employés se résignaient avant de se réveiller, le ministre Raymond Bachand traitait de « capitalisme sauvage » la décision de la compagnie Crocs inc. de Niwot au Colorado de fermer son usine de Québec. Déclaration qui a du mordant. Pour qu’un ministre, soit-il au développement économique, montre ainsi son dépit, il faut que le niveau de frustration soit élevé.

Il fallait cependant se douter que cela allait se produire. Depuis que cette compagnie a fait l’acquisition de Créations Foam, en 2004, elle a multiplié ses centres de production dans des pays à main-d’œuvre à rabais, notamment le Mexique et le Vietnam. On y fabriquait sous licence les Crocs inventés à Québec, mettant ainsi sur le marché des copies conformes à coût moindre rendant de la sorte l’usine de Québec moins attrayante.

Le vrai croc-en-jambe ne provient pas de la seule délocalisation mais de la décision de Crocs inc. de conserver à Québec son magasin et son service de marketing tout en annonçant son expansion sur le marché canadien. En d’autres mots, arrêtez de fabriquer et achetez.

Et la prochaine fois le ministre Bachand va-t-il encore dire: inventez et vendez? Ou donnera-t-il aux concepteurs québécois les moyens de s’installer sur le marché international? Pas en se délocalisant, mais en consolidant leurs opérations chez eux… chez nous.

Mon âme résignée à toutes les partances
Qui voit d’un œil pareil la joie ou la navrance.


Jovette Bernier (Mon âme était pareille)

dimanche 13 avril 2008

Cuba déstabilisée Haïti délaissée



La mise au jour d’une simple affaire de détournement de fonds à Washington jette un éclairage méconnu sur les sommes d’argent consacrés à l’aide aux pays en développement par les États-Unis par le canal de l’Agence de développement international (USAID).

Il appert que quelque 75 millions $ auraient été utilisés à des fins personnelles (achat de jeux vidéos, de mets fins et de manteaux de cuir) par Felipe Sixto, adjoint spécial du président Bush. M. Sixto, qui a discrètement remis sa démission le 20 mars, aurait commis ses larcins alors qu’il agissait à titre de directeur du personnel du Centre pour un Cuba libre entre 1996 et 2005. Cette organisation, financée par USAID, travaille à déstabiliser le régime politique cubain en acheminant des fonds vers les groupes cubains de Washington et Miami qui soutiennent l’embargo américain à l’encontre de l’île antillaise. En sous-main, bien entendu, ces groupes financent les dissidents qui diffusent la propagande anti-castriste dans l’île même ou encore organisent la défection des Cubains en visite à l’étranger.

Et Haïti

Pendant ce temps, les Haïtiens, depuis le départ en exil de Jean-Bertrand Aristide, végètent sur leur partie de l’île d’Hispaniola (partagée avec la République dominicaine), où les enlèvements contre rançon prennent des proportions épidémiques et où la famine a provoqué ces dernières semaines des émeutes meurtrières.

Comme par hasard, « l’aide » américaine à Haïti a atteint 425 millions $ en 2004, année où les États-Unis ont placé le président Aristide sur un avion vers la France afin de pacifier le pays aux prises avec des mouvements de contestation. Selon le plan stratégique de la USAID, les États-Unis ont versé au gouvernement haïtien 156 millions $ en 2006, comme si la situation qui prévaut dans ce pays nécessitait moins d’aide.

Au total, toujours selon les données de USAID, ce sont 25 milliards $ annuellement qui sont consacrés par les États-Unis à l’aide internationale. Une goutte d’eau à comparer avec les 3 000 milliards $ ( trois trillions $) qu’ont coûté jusqu’ici l’invasion et l’occupation de l’Irak.

Au sujet de Cuba, le représentant au Congrès américain Jeff Flake de l’Arizona, le 4 avril, commentait ainsi le versement des fonds de l’USAID en faveur des groupes cubains dissidents : « Je crois que cela ne fait qu’ajouter du poids à l’opinion de ceux qui jugent qu’on devrait permettre aux Américains de voyager à Cuba et entrer en contact avec sa population. Je ne conçois pas qu’on puisse payer pour ce genre de programmes alors que la démocratie pourrait s’y implanter naturellement. »

Que prônent les groupes communautaires haïtiens pour rétablir la situation dans leur pays? Accès à l’éducation, à du logement salubre, à des soins de santé et un redressement économique.

Qu’a fait le gouvernement cubain pour sa population : éducation gratuite, logement gratuit, soins de santé gratuits. Pour l’économie, il fait ce qu’il peut en composant avec l’embargo américain qui lui ferme le plus grand marché du monde. Pour la démocratie, d’immenses progrès restent à faire mais les États-Unis ne contribuent guère à son avènement.

En investissant si peu dans l’aide internationale, le gouvernement des États-Unis pousse-t-il Haïti vers le modèle cubain?

Et je marche à travers, vers ma lumière
Dressée de mes mains devant moi
Ces mains qui tremblent de sueur
Ces mains qui pleurent

Mais je ne sais aucun pardon aux lassitudes
Et je marche! Je marche! Je marche!


Louise Pouliot (Portes sur la mer)

lundi 7 avril 2008

Porto Rico Le gouverneur assigné à résidence


Les vieux quartiers de San Juan se laissent bercer par la mer des Antilles; le gouverneur de l’île, Anibal S. Acevedo Vila, lui, est secoué par une vague de fond : il est accusé d’avoir violé les règles de financement électoral et d’avoir recueilli illégalement quelque 500 000 $ afin de rembourser les dettes encourues à la suite de son élection à titre de représentant non votant au Congrès des États-Unis en 2000 et 2004.

À la veille des élections de novembre prochain, le gouverneur Acevedo, loin d’avouer quelque forfait que ce soit, interprète les accusations portées contre lui par le FBI comme une offensive politique ourdie par la Maison blanche et son occupant, George W. Bush. Acevedo est l’un des super délégués de Porto Rico qui participeront au congrès à l’investiture démocrate de Denver, Colorado, en août prochain et est toujours candidat à sa succession au poste de gouverneur.

De fait, le gouverneur confiné par la justice dans son palais de La Fortaleza, résidence des gouverneurs de l’île depuis le 17ème siècle, soutient que cette « manœuvre » républicaine trouve son origine dans les accusations qu’il a portées à l’encontre du FBI. Un militant indépendantiste portoricain en fuite est mort lors d’un raid de l’agence fédérale en 2005.

Le gouverneur Acevedo joue à fond la carte nationaliste portoricaine dans le but de discréditer l’enquête du FBI à son sujet en accusant le gouvernement américain de vouloir saigner économiquement son île. « They want blood, clame-t-il, not your well being ».

La procureure fédérale au dossier, Rosa Emilia Rodriguez, nie l’existence de tout motif politique derrière les accusations portées. Le doute peut cependant subsister au lendemain de la démission du procureur général des États-Unis, l’automne dernier. Alberto Gonzales avait congédié une douzaine de procureurs fédéraux en raison de leur réticence, sinon leur refus net, de soutenir des causes visant des personnes aux idées libérales. Le président Bush a soutenu Gonzales jusqu’au bout et a regretté son départ.

Militant démocrate, le gouverneur Acevedo est un tenant de l’autonomie de l’île de Porto Rico, un « état libre associé » aux États-Unis. Les États-Unis ont acquis l’île de l’Espagne à la fin du 19ème siècle. Il s’objecte donc aux visées des tenants d’un rattachement du pays à titre de 51ème état des États-Unis, de même qu’à l’indépendance totale. Les Portoricains disposent d’un représentant élu au congrès américain, sans droit de vote, possèdent un passeport américain, doivent servir dans les forces armées des États-Unis mais sont exonérés de tout impôt fédéral.

La mise en accusation d’un gouverneur démocrate (Acevedo a appuyé Barack Obama) s’inscrit dans la foulée de la démission du gouverneur de l’état de New York, Eliot Spitzer, accusé d’être impliqué dans un réseau de prostitution, et de celle, en 2006, du gouverneur de l’Alabama, Don Siegelman, accusé de corruption. Voilà autant de munitions dans l’arsenal républicain en vue des élections du 4 novembre qui permettront d’illustrer le peu de valeur morale qui a cours dans le camp démocrate.

Dès sa source, le fleuve anticipe la mer,
Et la fleur sait le fruit, savoureux ou amer,
Qui la prolongera dans le temps et l’espace.


Gilles Hénault (L’invention de la roue…)