lundi 3 mars 2008

Canada Indépendante Radio-Canada?


Pour une énième fois, le comité permanent du Patrimoine à la Chambre des communes à Ottawa recommande que la Société Radio-Canada (SRC) jouisse d’un financement stable et pluriannuel qui permettrait à la radio/télévision publique de planifier son développement et d’éviter toute influence indue sur ses décisions éditoriales provenant du parti gouvernemental au pouvoir dans l’Outaouais.

Il fallait voir et entendre le vice-président des services français de la SRC, Sylvain Lafrance, alors qu’il réagissait aux recommandations unanimes du comité, sauf la dissidence du Parti conservateur pour ce qui concerne le mode de financement avec indexation automatique. Il émanait du numéro trois de la Société (après le président et le vice-président des services anglais) autant d’enthousiasme, pour applaudir ce rapport, que s’il avait assisté à la cinquantième reprise d’un Bye Bye d’il y a vingt ans.

Il faut savoir que Sylvain Lafrance vit dans les couloirs de Radio-Canada depuis presque sa naissance. Journaliste à la salle des nouvelles de la station d’Ottawa dans les années 70, il a gravi les échelons jusqu’au poste hautement stratégique qu’il occupe maintenant en attendant, sans doute, que la présidence lui échoit. Il est donc bien au fait des promesses faites, en ce sens également, aussi bien par les libéraux que les conservateurs aux présidents du passé, dont les Pierre Juneau, Gérard Veilleux, Tony Manera et tutti quanti.

C’est qu’il existe une règle qui veille aux relations entre le gouvernement en place et la Société Radio-Canada : le « arm’s lenght » héritée de la tradition britannique. Il s’agit de la distance critique qui doit exister entre le gouvernement élu et la haute direction de la SRC pour que cette dernière conserve toute son indépendance, surtout éditoriale.

À titre d’exemple, lors de la diffusion d’un Bye Bye dans les années 90, les auteurs avaient égratigné le premier ministre de l’époque, Jean Chrétien dont l’épouse avait chassé un intrus de son domicile. Dès le lendemain de la diffusion, le chef de bureau du premier ministre avait appelé le président de la SRC pour le tancer sévèrement, selon les rumeurs qui ont circulé à l’époque sur la colline parlementaire. Quelques mois plus tard, lors de l’adoption des crédits parlementaires, la SRC voyait son budget gelé pour l’année suivante, ce qui se traduisait en réalité par un manque à gagner sans fonds supplémentaires pour couvrir l’inflation.

Cela permet de comprendre pourquoi, une fois au pouvoir, libéraux comme conservateurs refusent de voir la SRC acquérir davantage d’indépendance, même si, à l’époque où ils étaient dans l’opposition, un financement stable établi sur plusieurs années leur souriait. Dans l’opposition, ils y voyaient la possibilité d’accéder plus aisément aux ondes, au pouvoir l’incapacité d’influer sur son orientation. En effet, il n’est pas possible pour le palier politique d’intervenir directement à la suite de choix éditoriaux réalisés par un Daniel Lessard de la télévision ou un Maurice Godin de la radio. Mais si on dispose de la menace budgétaire, les hautes sphères de la SRC feront preuve de vigilance et interviendront sans même que le gouvernement n’ait à se manifester.

Même si les recommandations du comité connaissaient des suites positives, ce qui est fort douteux, il resterait que le budget de la SRC face au réseau anglais demeurerait inéquitable. De fait, même si le niveau d’audience n’est pas le seul critère dont on doive tenir compte, il n’empêche que le réseau français représente, grosso modo, la moitié de l’audience totale consacrée à Radio-Canada/CBC, pour moins d’un tiers de l’auditoire potentiel.

Si l’argent est le nerf de la guerre, il constitue aussi la laisse attachée à la patte du poêle. Vraiment indépendante Radio-Canada?

… ils seront seuls
et le cœur chargé d’une fausse espérance
ils attendront l’impossible délivrance des mondes


Michèle Lalonde (Leur solitude)

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