À peine engagé, le débat s’enrage. Le président Obama appuie sur l’accélérateur, ses opposants freinent à fond la pédale et placent le Canada socialiste sur la sellette.
La semaine dernière aura été consacrée à l’assurance maladie au sein de la Maison blanche et le président Barack Obama est sérieux : un projet de réforme doit être soumis à la chambre des représentants dès le mois de juillet et le Congrès doit s’en saisir en août au plus tard.
Les adversaires traditionnels de toute réforme du système de santé, les naufrageurs du plan Clinton des années 90, devant la ferme intention d’agir du président Obama, semblent vouloir ouvrir deux fronts : un premier manifestant de l’ouverture et une volonté de coopération, un second tirant à boulets rouges sur toute velléité de réforme défendant les privilèges d’une industrie florissante à même les tombes de ses clients.
Le dimanche 10 mai, les grands journaux américains, téléguidés par les stratèges présidentiels, abordaient tous la question de la réforme des soins de santé insistant sur le terrain d’entente sur lequel Obama souhaite atterrir : une révision du système en place offrant un libre-choix aux citoyens des États-Unis entre une assurance privée et une publique; un système mitoyen entre l’universalité d’un régime public et le tout au privé.
Dès le lendemain, une délégation formée de représentants d’hôpitaux et de cliniques médicales, de groupes pharmaceutiques et de compagnies d’assurance pavanait à la Maison blanche en jurant ses grands dieux que le milieu allait travailler de conserve avec le politique afin de réduire le coût des soins de santé. L’engagement : une économie de 2 500 $ par année par ménage. Ainsi, ces acteurs viseraient à réduire de 1,5 % par année les augmentations de tarifs prévues, ce qui n’empêcherait pas les coûts de croître de 7 % par année. Trois fois l’inflation prévue. Quel esprit de collaboration!
L’autre face de la médaille corporative du milieu de la santé attaque derechef et cible le démon canadien. « Les conservateurs, note le correspondant de la chaîne de journaux Tribune, qualifient déjà la volonté du président de tendance en faveur d’un système s’apparentant à celui du Canada où les bureaucrates fédéraux dictent leurs propres décisions au personnel médical et hospitalier. » (Même si la santé est de compétence provinciale). Et le groupe Conservatives for Patients’ Rights consacre un million $ en publicité pour amorcer sa campagne en vue de torpiller les intentions présidentielles. Ils entendent répéter l’exploit de 1994 où ils avaient fait dérailler la réforme Clinton en utilisant un couple fictif, Harry et Louise, qui ne cessaient de s’inquiéter du fait que les bureaucrates allaient s’immiscer dans leur vie de couple pour prendre à leur place les décisions concernant leur santé.
Des faits lourds de conséquences
Si le président Obama place si haut la réforme de la santé dans sa liste de priorités, c’est sans doute qu’il y a, selon lui, urgence d’agir.
Sur les 304 millions de citoyennes et citoyens que comptent les États-Unis, 46 millions étaient dépourvus d’assurance maladie, en 2007, ou 18 % de la population âgée de moins de 65 ans. La récession, les fermetures d’entreprises, les mises à pied, partielles et permanentes, et le glissement des emplois de l’industrie vers les services occasionnent une hausse continue du nombre de personnes se retrouvant sans protection s’il survient une maladie ou un accident. Résultat : de plus en plus de personnes malades ne se font pas traiter par manque d’argent. Et la prévention?
Selon l’institut de recherche de la Kaiser Family Foundation, en 2008, les dépenses dans le secteur de la santé se sont élevées à 2,4 trillions $ (2,400 millions de dollars), soit 17 % du produit intérieur brut (PIB) ou 7 900 $ par personne. En France, c’est 9,5 % du PIB, au Canada 9,7 %, en Allemagne 10,7 % et en Suisse 10,9 %, par exemple. À noter que 30 % des revenus encaissés par les hôpitaux, les cliniques et les entreprises pharmaceutiques sont utilisés à des fins de gestion et de marketing, une fois versés les dividendes aux actionnaires.
Et s’assurer est loin d’être à la portée de toutes les bourses. Pour une famille de quatre personnes, relève toujours la Kaiser Family Foundation, il en coûtait, en 2008, 12 700 $ et, pour une personne seule, 4 700 $. Qui dit indemnités, dit également franchise, puisque les compagnies d’assurance n’assument pas les frais dès le premier dollar déboursé. Une telle franchise est en moyenne de quelque 560 $ pour une personne seule et va jusqu’à 1 300 $ pour une famille de quatre.
Une visite chez le médecin coûte, en franchise, de 20 $ à 26 $, dépendant des services requis. Les pharmaciens demandent en argent comptant, en plus du remboursement de l’assurance, de 10 $ à 75 $, 10$ étant pour un premier médicament, 75 $ pour le quatrième médicament nécessaire.
Cette situation comporte ses dommages collatéraux, dont la faillite : 50 % des faillites enregistrées au cours de la dernière année trouvaient leur origine dans les dépenses en soins de santé.
Le USA Today du mercredi 13 mai rapporte la proposition d’un comité du sénat en vue de couvrir les citoyens non assurés : imposer aux travailleurs une taxe sur les primes payées par leurs employeurs et taxer les boissons gazeuses. Ces mesures rapporteraient quelque 226 milliards $ au trésor et l’assurance d’un ouragan politique de catégorie 5.
Medicare sans le sou
Comme un malheur n’arrive jamais seul, le conseil d’administration du régime Medicare, destiné aux personnes retraitées, annonce que dans huit ans le système sera à sec. Ce régime procure sans frais les soins de santé aux quelque 46 millions d’Américains ayant plus de 65 ans. L’origine de la crise? Le régime passe par les compagnies d’assurance pour protéger les retraités, tant en soins hospitaliers qu’en médicaments.
L’une des publicités télévisées payées par le groupe Conservatives for Patient’s Rights montre un éleveur de poulet de la Colombie britannique qui affirme qu’il devait être opéré pour le cœur, que la liste d’attente au Canada était trop longue et qu’il a été traité illico dans un hôpital américain. Ce que ne dit pas l’histoire de ce Canadien errant, c’est la somme dont il a dû se délester pour obtenir sa chirurgie. C’est loin d’être à la portée de toutes les bourses.
Diane la chasseresse
Il se trouve tout de même des défenseurs du système canadien de santé, dont Diane Francis, l’éditorialiste du National Post, qui est elle-même d’origine américaine. Oui, oui, l’amazone du Québec bashing qui sévit à Toronto.
Elle soutient, dans son blogue, que les publicités des conservateurs anti-réforme devraient être bannies des ondes par la Federal Communications Commission (FCC) en raison de la fausseté de l’argumentation diffusée.
Elle soulève notamment que le système canadien couvre toute la population et coûte moins cher per capita que le régime américain; que les poursuites représentent jusqu’à 3 % des frais de santé aux États-Unis; que l’espérance de vie est plus longue au Canada qu’aux États-Unis; que les médicaments, même s’ils sont inventés aux États-Unis, y sont plus chers qu’au Canada parce que les achats centralisés par les régimes publics d’assurance permettent des économies d’échelle; qu’aux États-Unis les personnes les plus à risques, vétérans, personnes âgées et population très pauvre, dépendent du système public, les régimes privés recueillant les primes des personnes jeunes et en santé.
Elle conclut en affirmant que le système canadien est loin d’être parfait mais que cela ne justifie pas la médisance et le mensonge.
Petit baume sur la plaie
Pfizer, l’un des géants de l’industrie pharmaceutique est consciente, elle, du désarroi dans lequel se retrouve les travailleuses et travailleurs victimes de la récession. Ainsi, celles et ceux qui ont perdu leur emploi depuis le 1er janvier pourront se procurer gratuitement et pendant un an 70 des médicaments de la firme les plus en demande dont le Lipitor, contre le cholestérol, et le… Viagra. Voilà qui raffermit la position d’un des acteurs du système de santé en faveur du redressement d’une situation sans autre issue qu’une sérieuse réforme.
Quelques à-côtés en Floride
La Floride regroupe un nombre important de personnes retraitées, donc un bassin on ne peut plus convoité par les hôpitaux, cliniques et pharmacies, ces gens étant sous le régime Medicare. Les établissements de soins de santé multiplient les espaces publicitaires dans les quotidiens, l’affichage autoroutier, etc. pour attirer cette clientèle.
Les cliniques de diagnostic par résonnance magnétique ont pignon sur rue environ tous les cinq kilomètres. Il leur faut ainsi, pour rentabiliser leurs opérations, inciter les résidants des alentours à s’y rendre. Résultat : alerte à la prévention et faux résultats afin que la clinique soit remboursée par le régime Medicare. Sans maladie ou malformation identifiée, pas de facture acquittée.
Le laxisme qui prévaut dans le domaine de la santé a fait émerger un nouveau type de soins : des cliniques spécialisées dans le traitement de la douleur qui, en fait, sont des pourvoyeuses de narcotiques pour les revendeurs dans les rues et les bars. Le Sun Sentinel de Fort Lauderdale a identifié une dizaine de cliniques dont les opérateurs ont un passé criminel et une douzaine dont les propriétaires ont déjà fait faillite. Un médecin exerçant dans l’une de ces cliniques avoue que celle-ci a enregistré un chiffre d’affaires d’un million $ en quatre mois. Un autre médecin s’est vu offrir 100 000 $ par mois pour rédiger des ordonnances pour diverses cliniques. Le propriétaire de l’une de ces cliniques déclare, dans un affidavit rédigé en vue d’un divorce, des revenus de 5 000 $ par semaine. Le médicament le plus populaire : l’oxycodone, un dérivé de l’opium plus puissant que la codéine et qui crée une dépendance en peu de temps.
Les coûts des soins de santé encouragent les compagnies d’assurance à rechercher des solutions plus économiques. Elles se tournent alors vers une dizaine de pays comme l’Inde, la Thaïlande, le Costa Rica, l’Irlande et Taïwan… pour y expédier leurs clients et obtenir des soins (interventions chirurgicales) à meilleur prix. Une chirurgie à cœur ouvert coûte dans les 100 000 $ aux États-Unis, environ 10 000 $ en Inde. Selon la firme McKinsey au moins 8 500 patients se font traiter à l’étranger chaque année. La firme Deloitte, elle, chiffre à 750 000 le nombre de personnes traitées à l’extérieur pour diverses raisons, dont les soins dentaires et la chirurgie esthétique.
Quand la santé se mue en industrie, le privé s’impose et le patient devient client : pour les uns, plus il paie, mieux c’est; pour les autres, moins il coûte cher, mieux c’est. Confortable comme position!
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