dimanche 3 mai 2009

Canada Un CRTC arabophobe?

Le module anglophone de la chaîne arabe d’information continue Al-Jazira, soit Al-Jazira English (AJE), soumettra de nouveau au Conseil de la radiotélévision et des télécommunications canadiennes (CRTC) une requête en vue de sa diffusion au Canada par le biais des télédistributeurs (câble et satellites). Cette fois sera-t-elle la bonne?

En 2004, les télédistributeurs s’étaient vu accorder l’autorisation d’inscrire AJE dans leur bouquet de chaînes d’information continue à la condition de veiller à pratiquer la censure s’ils croyaient que des propos inappropriés allaient être diffusés. Le CRTC adhérait ainsi à un théorème de base voulant que les professionnels de l’information en poste à AJE étaient d’abord et avant tout des anti-occidentalistes dénués de toute objectivité. D’autre part, il faisait porter sur les télédistributeurs l’odieux de pratiquer la censure ou d’assumer la responsabilité de propos choquants qui auraient pu être émis. Les télédistributeurs ont dit : non merci! Et on peut les comprendre.

Qui, il y a cinq ans, a donc fait des pieds et des mains pour empêcher les 150 000 arabophones du Canada et les autres Canadiens intéressés d’obtenir un point de vue différent sur le monde de ce que nous offre CBC Newsworld, CNN, MSNBC et autres Fox News? Le B’Nai Brith. Et qui pensez-vous aurait décortiqué, microscope à l’œil et sonar à l’oreille, la moindre image ou le moindre propos présumément « antisémite »? Le B’Nai Brith. Comprend-on les télédistributeurs d’avoir abdiqué? Et le CRTC de leur avoir refilé ce présent empoisonné?


Le B’Nai Brith, la plus vieille organisation juive du Canada, se présente comme un organisme de défense des droits. En réalité, il s’agit d’un organisme sioniste qui fait flèche de tout bois envers quiconque critique le moindrement les politiques israéliennes ou le comportement du gouvernement d’Israël ou de ses milices à l’endroit des Palestiniens. B’Nai Brith qualifie systématiquement d’antisémite toute remarque visant Israël ou les groupes juifs orthodoxes qui bafouent tous les principes d’accommodement raisonnable et n’en font qu’à leur tête.

Même si le CRTC étudie une demande émanant de AJE, et non d’Al Jazira, cela ne change rien selon B’Nai Brith, c’est la même organisation. Il faut dire que B’Nai Brith a ses entrées au sein du gouvernement conservateur. Son directeur exécutif est Frank Dimant qui a été candidat de l’Alliance canadienne aux élections fédérales de 2000. L’Alliance était justement le parti de M. Harper avant qu’il passe chez les conservateurs.

Al-Jazira English

Quelle est donc cette chaîne de télévision qui diffuse en anglais 24 heures par jour à partir de Doha au Qatar? Elle fait partie d’un réseau dont le navire amiral est bien entendu Al-Jazira arabe fondé en 1996, la chaîne anglaise a suivi , et s’y sont greffés, au cours des ans, les divisions documentaire, sport, Internet, un centre de formation et de développement en médias, un centre d’études, une division de diffusion d’images en direct et une de téléphonie cellulaire.

Al-Jazira s’est démarqué dès le début de ses concurrents en présentant le monde arabe vu de l’intérieur, ce qui n’a pas été nécessairement de tout repos. De fait, Al-Jazira est basé au Qatar et a reçu l’aval et le financement de l’émir de ce pays du golfe persique pour s’établir avec la garantie de jouir de toute la latitude nécessaire dans l’exercice de sa mission d’information. Voilà qui était loin de réjouir certains pays arabes aux mœurs plus conservatrices que le Qatar et préférant demeurer loin des projecteurs d’une télévision un peu trop libérale à leur goût. Aujourd’hui encore, la Tunisie refuse la diffusion d’Al-Jazira sur son territoire contrairement à… Israël.

Déontologie

Al-Jazira fonctionne sur la base d’un code de déontologie en dix points qui repose, notamment, sur des notions d’équilibre, d’indépendance, de crédibilité et de diversité; la vérification et l’exactitude de l’information, il en est de même pour les images diffusées qui doivent également respecter la vie privée des personnes victimes de crimes, de guerre, de persécution ou de désastre; le respect de normes qui exclut de mettre en priorité la recherche du « scoop »; la présentation d’opinions diverses sans biais ni partialité; le reflet en toute bonne foi de la diversité des sociétés selon leur race, leur culture, leurs croyances, leurs valeurs; la reconnaissance diligente des erreurs lorsqu’elles surviennent et leurs corrections; la confidentialité des sources d’information; la distinction nette entre la nouvelle, l’opinion et l’analyse afin d’éviter tout mélange des genres et la propagande; la solidarité avec les collègues d’autres médias internationaux et la collaboration avec les syndicats et associations de journalistes.

Droits et libertés

De plus, à la fin de l’an dernier, Al-Jazira a créé un « pupitre », c’est-à-dire un nouveau champ de couverture, qui ciblera toute la question des droits humains et des libertés civiles. Sami Al Haj a pris les commandes de cette section.

Sami Al Haj est un caméraman qui a été détenu pendant six ans et demi à la base américaine de Guantanamo. Il a été libéré l’an dernier. Il est plutôt bien placé pour traiter des droits de la personne. « Ces années passées à Guantanamo m’ont permis d’apprécier, du plus profond de moi-même, comment les droits humains peuvent être violés et l’importance fondamentale des libertés civiles. Cette nouvelle section d’Al-Jazira permettra de promouvoir les valeurs concernant les droits humains et créera une émulation en ce sens pour les autres (médias). »

La direction d’Al-Jazira English

Des anciens de Radio-Canada et de la CBC, de la BBC, de la télévision nationale australienne et de l’Associated Press occupent des postes à la direction d’AJE.

Tony Burman, ancien rédacteur en chef de la CBC, et Catherine Cano, ex-directrice de l’information à RDI, sont à la direction de l’information sous la supervision du directeur des opérations, Omar Bec, qui est passé par le BBC World Service de Grande-Bretagne et Worldwide Television News. Max Uechtritz, directeur de la programmation, a été, pendant quatre ans, directeur des nouvelles et des affaires publiques à la ABC en Australie où il avait gravi tous les échelons dans le domaine de l’information.

AJE s’appuie sur des bureaux dans les principaux points du globe. Celui de Londres est occupé par Sue Philipps qui a dirigé le bureau de la CBC dans la capitale britannique. Will Stebbins a quitté l’Associated Press Television News et dirige le bureau de Washington. Provenant également de l’Associated Press, Olga Stukalova est responsable du bureau russe. Toujours de l’Associated Press, Anmol Saxena occupe le bureau de l’Inde. Enfin, en Afrique, se retrouve Andrew Simmons, de la télévision britannique et deux fois récipiendaire du prix de la Royal Television Society.

De la crédibilité

Sur le site du Monde diplomatique, le 23 mars dernier, Alain Gresh démontre l’importance prise par Al-Jazira. « C’est le moment (l’invasion de Gaza par Israël) où les images du Proche-Orient submergent les écrans de télévision du monde. Nous en savons bien plus sur cet affrontement, aussi bien en Europe que dans le reste du monde, que sur n’importe quel autre. Même si chacun n’en maîtrise évidemment pas les tenants et les aboutissants, chacun a lu ou entendu mille et une analyses, vu mille et un reportages. La révolution technologique de la fin des années 1980, avec le numérique et les chaînes de télévision d’information en direct, permet aux téléspectateurs de vivre de plain-pied dans l’actualité. Le monopole de CNN durant la première guerre du Golfe (1990-1991) ayant été battu en brèche par les chaînes satellitaires arabes – et surtout par la plus célèbre d’entre elles, Al-Jazira –, et l’utilisation par des individus sur le terrain de portables et de caméras vidéos se généralisant, plusieurs récits s’entendent désormais sur la scène mondiale, pour la première fois depuis l’effondrement de l’URSS et la disparition du « camp socialiste ». Et le récit d’Al-Jazira et des autres chaînes du Sud a d’autant plus d’impact que ces médias répondent aux critères occidentaux de professionnalisme… »

De quoi s’inquiète donc B’Nai Brith? D’une source fiable d’information susceptible de nous en révéler davantage sur les exactions commises par le gouvernement israélien à l’endroit du peuple palestinien qui, depuis des années maintenant, vit dans un immense camp de concentration appelé territoire autonome?

Si le CRTC autorise la diffusion de Fox News, qui, selon les humeurs de ses commentateurs, traite le président Obama de communiste et de fasciste, comment peut-il barrer le passage à Al-Jazira English?

Quand la liberté ne retient qu’une expression
Tout entier les droits sont remis en question
Toute liberté d’information
Tient dans la quête de la plus large diffusion

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