mercredi 5 décembre 2007

Québec Une province canadienne moins française


L’alignement des astres a de ces caprices que la politique semble toute disposée à exploiter à son profit. Le lundi 3 décembre marquait l’anniversaire du vote de la Chambre des communes reconnaissant le Québec comme nation; le premier ministre canadien, Stephen Harper, annonce une tournée de consultations sur les langues officielles et nommer Bernard Lord pour la piloter; le lendemain, Statistique Canada publie les données du recensement de 2006 qui confirme le recul du français partout au Canada, Québec inclus.

Ainsi, au Québec, pour la première fois, le pourcentage des personnes ayant le français comme langue maternelle est en deçà de 80%. Dans la métropole, Montréal, les francophones sont maintenant minoritaires. Sur la scène canadienne, en 35 ans, les francophones ont perdu quatre points de pourcentage à 22,1%.

Le dérapage de l’usage du français au Québec a été freiné par l’application de la loi 101 qui oblige les enfants de familles immigrantes à fréquenter l’école française, sinon on assisterait au même phénomène qui frappe les autres provinces canadiennes où les francophones ne représentent plus que 4,1% de la population.

Ces constats résultent du rêve du Canada bilingue de Pierre Elliott Trudeau dont son descendant direct, Stéphane Dion, fait encore l’apologie. Au moins, Stephen Harper se montre plus réaliste et, sachant que les données de Statistique Canada allaient occasionner des interrogations, des inquiétudes, des constats d’échec au sein des communautés francophones, il sort du chapeau le modèle bilingue du Canada anglais : Bernard Lord, ancien premier ministre de la seule province bilingue du Canada, le Nouveau-Brunswick. La mission de Bernard Lord : guider le gouvernement appelé à dévoiler l’an prochain la mise à jour du Plan d’action sur les langues officielles.

Il faut donc en conclure que la présence à Ottawa d'un commissaire aux langues officielles et, au Canada, d’une Fédération des communautés francophones et acadiennes ne suffise pas pour inspirer au gouvernement en place le chemin à emprunter pour sauvegarder la présence francophone hors Québec. Toutefois, pas question, selon toute vraisemblance, qu’Ottawa réactive le programme de contestation judiciaire qui permettait, jusqu’à sa dissolution par le gouvernement Harper, d’assumer les frais juridiques entraînés par la contestation judiciaire de certaines mesures législatives adoptées par les gouvernements fédéral ou provinciaux. L’hôpital Montfort à Ottawa a survécu, notamment, sur le front judiciaire, grâce aux fonds provenant de ce programme et à la mobilisation nationale que la cause a suscitée.

L'influence du travail

Au Québec, il devient évident que la seule fréquentation de l’école française ne suffit pas, non plus que le recrutement d’une immigration puisée dans les pays où prime la langue française. C’est au travail que ça se passe. Et le travail, surtout dans le domaine des technologies de l’information, exige l’anglais, terre anglo-américaine oblige. Le Québec, avec 5,7 millions de parlant français, ne fait pas le poids avec le Rest of Canada (ROC) et les États-Unis qui rassemblent plus de 300 millions d’anglophones.
Une étude menée aux États-Unis par le Pew Hispanic Center, un organisme de recherche sans but lucratif, démontre d’ailleurs que la crainte, entretenue par les Américains à l’effet que l’immigration latine allait mener à la formation de ghettos hispanisant, était sans fondement. En effet, la deuxième génération de familles immigrées, souhaitant de meilleurs emplois, s’intègre à la majorité. Voilà ce qui facilite ensuite le dialogue avec le voisinage et les profs des enfants.

La langue est aussi le reflet de notre culture et ce qui lui donne sa teinte particulière. Dépourvue de la langue française, la culture dite québécoise, dans sa littérature, son théâtre, son cinéma, sa musique, son architecture et ses arts visuels se déformera à force de contorsions pour résister à l’attraction du pôle anglicisant qui attire les nouveaux arrivés tout comme sa propre progéniture.

Les Québécoises et Québécois, auront beau s’affirmer comme nation sur tous les toits, il n’en demeure pas moins que la lucidité doit les conduire à reconnaître qu’elles et ils sont des Canadiens français qui évoluent dans la province de Québec, la seule province majoritairement française du Canada… pour l’instant.

Mais je n’ai pas accepté
D’être ce désemparé,
Qui regarde s’agrandir,
À mesurer la distance,
Un vide à combler d’espoir.


Jean-Aubert Loranger (Ébauche d’un départ définitif)

Aucun commentaire: