mercredi 24 octobre 2007

Le cœur a ses raisins, que le raisin ne reconnaît point


Le retour de l’automne marque le temps des vendanges. Et les vendanges sont la manifestation de quelques visionnaires qui s’entêtent à donner au Québec une production viticole qui se bonifie d’année en année, au prix d’efforts et de sacrifices sans aucune commune mesure avec les retombées financières qu’ils en récoltent.

Ces vignobles s’appellent l’Orpailleur, les Coteaux blancs, le Domaine du Ridge, le Marathonien, le Mérou, le Cep d’argent et ainsi de suite. Ils récoltent des dizaines de milliers de kilos de raisins chaque année, les pressent, en extraient le jus, le font fermenter, le mettent en bouteille et attendent que les amateurs s’aperçoivent qu’eux et leurs vins (blancs, rouges, rosés, de glace) existent. Ce sont des gens qui ont le cœur aux raisins. La problématique est semblable pour les producteurs de cidre ou d’hydromel.

Un organisme dispose de tous les moyens pour résoudre les difficultés de mise en marché auxquelles se heurtent ces producteurs artisanaux : la Société des alcools du Québec (SAQ). Tentez l’expérience de rechercher un vin régional dans une succursale de la SAQ de la Montérégie ou de l’Estrie. Vous y parviendrez peut-être mais ce sera parce que le directeur de l’endroit aura multiplié les interventions auprès de ses supérieurs pour leur trouver un emplacement intéressant, sous la pression du milieu.

La province de l’Ontario produit également de nombreux crus, certains plus heureux que d’autres… Enfin, la Liquor Control Board of Ontario (LCBO) déploie suffisamment d’énergie et d’espace dans ses succursales pour que 40 pour cent des bouteilles qu’elle vend proviennent de la production viticole locale. Du côté québécois, société distincte quand elle s’en donne la peine, on dénombre un minime 0,4 pour cent des ventes sous l’étiquette production viticole autochtone.

Et que répondent les responsables de la SAQ quand le problème leur est soumis? La LCBO est mandatée pour faire la promotion des alcools ontariens; au Québec, la SAQ a un mandat de détaillant seulement. Or, dans les ouvrages traitant de commerce au détail, ce qui se nomme marketing-mix s’attache à quatre notions : le produit, la promotion, la distribution et le prix. Ainsi, les dirigeants de la SAQ n’ignorent que la promotion dans la mission qui incombe à l’organisme.

Personne à la direction de la SAQ ne s’est jamais penché sur la question pour en déduire que ce serait peut-être une bonne idée de promouvoir les produits du Québec, sans que le gouvernement en donne l’ordre. Quel sens de l’initiative! Quand Wall-Mart est capable d’une politique « québécoise » d’achat, c’est impossible pour la SAQ?

Aborder la question de la promotion des produits viticoles du Québec sous le seul angle du mandat dévolu à l’organisme de détail des produits alcoolisés relève d’une approche bureaucratique maladive qui freine la productivité si chère aux lucides. De toute évidence, dès qu’on organisme atteint une certaine taille, qu’il soit gouvernemental, patronal, syndical, de service public ou autre, la bureaucratie y fait son nid, y multiplie les règles et impose sa loi, même à l’encontre de toute logique.

Les « réglementaristes » ou concepteurs de règles ignorent la réalité du terrain pour prescrire la démarche à suivre pour que rien ne dépasse du cadre bureaucratique esquissé à la force du poignet contre des résistants qui se fondent sur un empirisme vraiment méprisable puisqu’orienté vers la vie quotidienne. Ce paradigme ne peut souffrir d’exceptions, celles-ci risquent de remettre en question un système maintenant compris par la chaîne décisionnelle. Hors de ces règles point de salut.

Titre d’un prochain ouvrage sur la bureaucratie : ces raisins qui nous gouvernent ou les raisins de la colère?

La SAQ commandite toutefois une émission télévisée à TVA au titre original de « Tchin, tchin » qui fait la promotion (oups! il semblait que ce n’était pas dans le mandat) des produits payants en vente dans les succursales de la société. Ça, c’est de l’heureuse initiative! Parce que ça paie!

La direction de la SAQ voudrait susciter un mouvement favorable à la privatisation de ses activités qu’elle ne saurait mieux s’y prendre et les candidats à la relève seraient légion.

Dans un théâtre de verre
Fidèle à son geste de plâtre
Il joue le pas
D’une robe
Arrêtée


Cécile Cloutier (Mains de sable)

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