lundi 19 novembre 2007

Haïti L’enlisement persiste


La situation politique est à l’image des bouleversements atmosphériques qui assaillent le pays le plus pauvre des Amériques : Haïti.

Aux dires du gouvernement des États-Unis, sur le parquet des Nations unies à New York en 2004, le départ du président Jean-Bertrand Aristide du Palais national de Port-au-Prince allait mettre fin au chaos existant dans le pays et résoudre l’essentiel des difficultés rencontrées par sa population de 8,7 millions de personnes.

Les observations relevées par le nouveau chef de mission de l’Organisation des nations unies en Haïti, M. Hedi Annabi de Tunisie, révèlent que rien n’a vraiment changé depuis 2004, année du départ forcé d’Aristide. Non seulement rien ne semble s’être amélioré, on croirait que la situation empire.

Sur les fronts humanitaire, politique et économique, le gouvernement démontre une impuissance chronique et les forces de l’ONU ne sont pas sur place pour se substituer aux autorités locales.

Lorsque l’ouragan Noël s’est abattu sur Haïti, le 28 octobre, les terres du pays étaient déjà gorgées de l’eau de la pluie tombée dans les semaines précédentes. Résultat : 66 morts et des milliers de sans-abri. Face à l’incapacité des autorités d’affronter l’épreuve, les forces de l’ONU ont été déployées dans le pays pour aménager les refuges nécessaires et baliser le flux des personnes déplacées. Ce faisant, les militaires ont délaissé leurs tâches habituelles et laissé à eux-mêmes des quartiers nécessitant une surveillance constante.

Fragilité

M. Annabi est clair : « La situation sécuritaire est extrêmement fragile. Si nous devions réduire nos effectifs radicalement, cela créerait un vide qui serait aussitôt comblé par les mêmes gens qui étaient là au moment de notre arrivée. » Alors pendant combien de temps les forces de l’ONU devront-elles demeurées sur place? « Vous ne pouvez, soutient M. Annabi, mettre sur pied une force de sécurité ou de police en deux ou trois ans… Il faut 10, 15, 20 ans. »

La mission de l’ONU, renouvelée pour une autre année en octobre, tente de contrer les gestes violents commis par les gangs criminels dans les diverses villes, mais l’état affligeant de la pauvreté et le chômage endémique menacent à tout moment de rompre la paix précaire qui prévaut.

Nombreux sont les Haïtiens qui réclament des forces de l’ONU un soutien au développement économique du pays. « Ce n’est pas le rôle des forces de l’ONU », réplique le diplomate tunisien. « Nous pouvons veiller à la création d’un environnement propice à la création d’emplois, à l’investissement et au redressement économique du pays. Mais nous ne pouvons le faire nous-mêmes. »

Pour sortir de l’actuelle instabilité politique, le président René Préval propose une série d’amendements à la constitution, ce qui, selon lui, accorderait au gouvernement plus de flexibilité pour promouvoir le développement économique et combattre la corruption. Les propositions Préval visent notamment à permettre des réélections à la présidence, au lieu d’une limite à deux mandats consécutifs, la mise sur pied d’une cour constitutionnelle habilitée à interprétée les lois et la possibilité pour le président d’évincer le premier ministre qui, présentement, est nommé par la présidence mais ne peut être démis que par le parlement.

Mais voilà. Le plan du président Préval ne mentionne nulle part comment la situation économique peut évoluer favorablement et créer les emplois et la richesse nécessaires pour entraîner la stabilité sociale.

Le fantôme de Bébé doc

Et pendant que la plupart des observateurs s’attendent à ce que ses supporters et l’ex-président Aristide lui-même se manifestent en évoquant un éventuel retour, c’est Bébé doc qui réapparaît. De son exil français, l’ex-dictateur implore le pardon de son peuple 20 ans après sa chute et sa fuite avec des millions de dollars accumulés dans les coffres familiaux et prélevés à même la caisse nationale.

Le président Préval a d’ailleurs demandé aux autorités suisses de prolonger d’une autre année le gel de 4,6 millions d’euros détenus dans des banques helvétiques par Bébé doc.

Il devient de plus en plus difficile de concevoir que toutes ces difficultés soient vécues aux portes mêmes de pays aussi riches que les États-Unis ou le Canada et qui, de surcroît, comptent des diasporas haïtiennes importantes. D’où peuvent bien provenir les millions de dollars d’investissement nécessaires pour remettre sur pied ce petit pays? Les États-Unis dépensent sans compter en Irak et en Afghanistan, tout en supputant une possible agression vers l’Iran. Le Canada s’est engagé en Afghanistan dans une politique d’occupation qui risque de lui coûter cher, financièrement, humainement et politiquement. L’argent consacré jusqu’ici à l’aide à Haïti c’est de la petite monnaie par rapport aux sommes astronomiques destinées à l’Afghanistan.

Haïti, ce n’est pas le Darfour ou le Kosovo, c’est un voisin. Ça ne mérite pas un peu de considération?

Et si on y découvrait du pétrole?

Mon insomnie a vu naître les clartés grises.
Le vent contre ma vitre, où cette aurore luit,
Souffle les flèches d’eau d’un orage qui fuit.
Un glas encore sanglote aux lointaines églises…


Alfred Garneau (Glas matinal)

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