jeudi 27 septembre 2007

Pérou : Fujimori confronté à la justice de son pays


Les procureurs de l’État souhaitent procéder avec diligence. Les avocats de l’ex-président péruvien, Alberto Fujimori, entendent prendre tout leur temps. Raison : le politicien extradé du Chili est âgé de 69 ans. Une condamnation avant l’âge de 70 ans lui fait risquer 40 ans de prison. Une sentence intervenant, une fois révolus ses 70 ans, lui vaudra une remise de peine et une autorisation à purger sa sentence à domicile.

Alberto Fujimori est revenu au Pérou samedi soir dernier presque sept ans après son départ précipité pour le Japon et un détour par le Chili. Il doit répondre à des accusations de corruption et de violation de droits de l’homme. Son bras droit de l’époque où il présidait le pays, le chef des services secrets, Vladimir Montesinos, est déjà derrière les barreaux pour trafic d’armes.

L’arrivée au Pérou de l’ex-président et sa mise en accusation ébranlent les fondements politiques de la société péruvienne, comme le souligne l’ancien journaliste et ministre de l’Intérieur, Fernando Rospigliosi. « L’extradition de Fujimori a la magnitude d’un séisme de 8,4 degrés, du jamais-vu au Pérou. Jamais, dans notre pays, qui a vu tant de corrompus briguer le pouvoir, on n’avait mis en procès un ancien président pour des délits aussi grave que ceux dont est accusé Fujimori. »

Alberto Fujimori a été à la tête du Pérou pendant 10 ans (1990 – 2000). À l’issue de son dernier mandat, il quittait le pays pour se réfugier au Japon, dont il détient la citoyenneté. En novembre 2005, il débarque au Chili où il est arrêté dès le lendemain. Des procédures d’extradition sont entreprises et aboutissent par la sentence de la semaine dernière et son arrivée au Pérou le samedi 22 septembre.

Fujimori est soupçonné, durant la décennie où il a dirigé son pays, d’avoir versé 15 millions $ de fonds publics pour acheter le silence de son chef des services secrets, Montesinos, et commandité deux attaques contre des civils prétendument associés au groupe du Sentier lumineux.

De fait, l’essentiel des deux mandats de Fujimori a été concentré sur la lutte au groupe Sentier lumineux, organisation maoïste cherchant un reversement de régime en dénonçant l’exploitation des paysans et travailleurs par le gouvernement, les propriétaires fonciers et les dirigeants d’entreprise, le tout soutenu par une armée fidèle au régime et tenante de la ligne dure. Pas moins de 70 000 personnes sont mortes au cours de l’ère fujimoriste.

Mais l’ex-président est accusé d’avoir commandé deux attentats qui ont fait 25 morts. L’un est survenu en novembre 1991, laissant 10 morts, dans Barrios Altos à Lima et l’autre est connu sous le nom de La Cantuta d’après l’école normale dont un professeur et neuf étudiants ont été tués en juillet 1992. Dans ce dernier cas, les corps ont été retrouvés un an plus tard dans une fosse commune. Dans les deux cas, de nombreux corps ont été laissées pour morts, dont des enfants.

L’actuel gouvernement du président Alan Garcia se retrouve en mauvaise posture avec l’arrivée de Fujimori. La fille de ce dernier, Keiko, est à la tête d’un groupe de 13 députés fujimoristes qui ont soutenu le gouvernement minoritaire de Garcia au cours des 14 derniers mois. Fernando Rospigliosi poursuit : « Les liens de Garcia avec le fujimorisme vont au-delà d’une alliance tactique temporaire. Le président est entouré de politiques, de chefs d’entreprise et de militaires à la retraite qui sont étroitement liés avec le clan Fujimori. Même s’il le souhaitait – et, apparemment, il ne le souhaite pas – il aurait du mal à se défaire de tels alliés. »

Les yeux du monde entier seront tournés vers le Pérou, l’an prochain, et, sans doute, sur le procès de Fujimori, alors que s’y tiendra le prochain sommet des pays de la zone Asie-Pacifique.

Le fait est que les pays d’Amérique du Sud peinent à se libérer de leurs vieux démons marqués par des régimes autoritaires s’appuyant sur d’influentes forces armées au service d’une classe dominante qui s’accapare de l’essentiel des richesses disponibles.

Or, j’ai la vision d’ombres sanguinolentes
Et de chevaux fougueux piaffants,
Et c’est comme des cris de gueux, hoquets d’enfants
Râles d’expirations lentes.


D’où me viennent, dis-moi, tous les ouragans rauques,
Rages de fifre ou de tambour?
On dirait des dragons en galopade au bourg,
Avec des casques flambant glauques…

(Émile Nelligan, Vision)

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